Reportage. Sans droit de titre de séjour, aucun document d’identité, nationalité ambiguë, aucun domicile propre, problème d’irrecevabilité… Pour la petite matinée du mardi 9 avril, un cortège de personnes a été jugé tambour battant devant la juge des libertés et de la détention, non sans tensions.
Il est 10 heures passées. A cette heure du zénith, le soleil luit sur le tribunal judiciaire de Paris flambant neuf. Installé auparavant sur l’île de la Cité, il a depuis 2018 établi ses affaires au sein du nouveau quartier de Porte de Clichy dans le 17e arrondissement. 120 000 m2 nette dont 20 000 m2 d’espaces publics, 90 salles d’audience réparties sur 6 salles et jusqu’à 36 étages – la plupart consacrés à la partie administrative –, voilà les nouveaux chiffres ahurissant du mastodonte de verre.
Malgré la grandeur du gratte-ciel, peu de gens s’empressent dans l’antre du palais. Le service de la salle d’entrée, dont l’étendue blanchâtre impressionne par sa propreté, est vide de tous occupants. Il faut dire, que ce mardi 9 avril 2024, les procès ne sont pas nombreux à cause des vacances judiciaires. Les avocats, reconnaissables par leurs robes noires, se font rares en cette période. Quelques magistrats et policiers s’affairent çà et là à leurs occupations respectives. Une avocate en provenance du bureau de Bordeaux, retire son costume professionnel brodé à son nom : Eléonore Trouvé. La jeune femme vient tout juste de terminer une audience de juridictions pour enfants débutée à 9 heures ce matin. « Cela n’a pas duré longtemps, mais c’est une cession qui est néanmoins éprouvante pour moi due au jeune âge du prévenu ». Toutefois, cela ne l’arrête pas dans l’exercice de ses fonctions. Bien au contraire. « Je préfère défendre les accusés, qu’ils soient jeunes ou plus âgés, car je ne peux pas m’identifier à eux du fait de leurs délits. Par conséquent, je ne m’investis pas émotionnellement contrairement aux victimes ayant subi des dommages moraux ou collatéraux avec lesquelles je peux éprouver une certaine complaisance lors des échanges ». Le maître regarde sa montre. Elle est dans le devoir de partir précipitamment. Sa prochaine audience se déroulera à 13 h… mais à Bordeaux cette fois.
Procédures répétitives sur fonds de tensions
Il est 10 h 30. La petite salle 4.06 située au quatrième étage se remplit rapidement. Plusieurs magistrats conversent à l’entrée, l’air soucieux. Quelque chose se prépare. La pièce boisée est étroite. A vue d’œil, elle renferme autant d’avocats que d’auditeurs. Les deux heures qui suivront seront consacrées à plusieurs cas de rétentions administratives. Ce jargon peu familier signifie, entre autres, qu’elles permettent de maintenir dans un lieu fermé (centre de rétention administrative) un étranger en séjour irrégulier en France. L’individu fait couramment l’objet de mesure d’éloignement dans l’attente de son renvoi forcé vers un État qui peut le recevoir. Elles peuvent être de l’ordre de l’expulsion ou de l’obligation de quitter le territoire français.
La salle est exiguë. Les prévenus sont amenés un à un à la barre devant Madame le Président, généralement accompagnés de leurs interprètes. Trois policiers surveillent entrées et sorties et s’attachent à escorter les concernés. Un cortège de cas de rétentions administratives est ainsi examiné séance tenante. Un à un, Madame le Président énonce les faits reprochés. « Monsieur X [absent] connaît un problème d’irrecevabilité auprès des autorités algériennes ». L’avocat défend son client tant que faire se peut. Maître Frédéric* se perd dans ses papiers administratifs et dans ses propos. La magistrate s’agace car le dialogue engagé qui se veut constructif n’est pas réciproque. Le ton de la juge monte brusquement : « Je connais mon métier ! ». L’altercation n’aura pas duré longtemps. Le verdict est rendu prestement : « La voie administrative a été choisie. Il sera donc renvoyé en Algérie car il possédait bel et bien un passeport ». La greffière, acculée au fond de son siège, rapporte par écrit sur son ordinateur les échanges, déclarations et observations. Elle authentifie ainsi les actes de juridictions et les fait tamponner un à un. La tension est palpable dans la salle.
La juge des libertés et de la détention (JLD) est compétente pour se prononcer sur la détention provisoire en l’ordonnant ou la prolongeant. Et ce, par ordonnance motivée prise après un débat contradictoire tenu en public. Au cours de l’audience, les propos de la magistrate sont parfois teintés d’idéologies politiques. « Si Monsieur avait un passeport, dit-elle d’un ton aigri à Monsieur Kourouma, de nationalité apparemment ivoirienne qui se dit gambien, on aurait pas à dépenser l’argent du contribuable ! » Une fois l’audience levée, Maître François explique qu’ « à chaque fois que une personne est expulsée, il faut payer son escorte et le billet d’avion. Bien entendu, plus la destination est lointaine, plus le coût est élevé. Or, nous n’avons pas tout cet argent pour tout le monde ». Le problème d’extradition ne situe pas au niveau juridique français mais à celui de l’international. Le permis de circulation pour les personnes, aussi désigné par le terme laissez-passer, n’est autorisé que sur la validité du pays d’accueil. Il est le plus souvent refusé car ledit pays d’accueil ne souhaite pas extrader des ressortissants dangereux ou à problème. De même, ces mesures sont couramment appliquées lorsqu’il s’agit de rapatrier un ressortissant français sur le territoire. L’individu est ainsi bloqué au centre de rétention avec une durée maximale de détention de 90 jours.
Une couche de plus
Si les cas sont généralement de l’ordre du pénal administratif, il se peut que ces rétentions administratives s’ajoutent à des faits antérieurs commis sur autrui. Mohammed Moltar, de nationalité somalienne en est la preuve. Reconnu comme étant en situation irrégulière sur le territoire français, son comportement a, en outre, été signalé aux autorités pour exhibition sexuelle sur mineur de 15 ans. Pour autant, l’affaire est plus grave que cela en a l’air. « Je ne veux pas être extradé en Somalie car j’ai peur pour ma vie. Je suis un musulman moderniste/modéré et je ne suis pas le bienvenu chez moi. Je souhaite demander l’asile en France », explique-t-il avec une voix faible.
Un peu d’amour dans ce monde de brutes…
Outre l’ambiance pesante ressentie aussi bien dans les voix des accusés que dans celles des avocats les défendant, il ne manque pas à certains juges de faire montre d’une plaidoirie teintée de nobles sentiments. « Madame le président, je vous ai apporté une lettre manuscrite de l’épouse de Monsieur qui lui exprime son amour en ses termes : ‘Tarek [Robdani] est mon pilier et ma force. C’est quelqu’un de très serviable et dévoué aux autres’ ». « Un peu d’amour dans ce tribunal froid », ajoute-t-il sèchement. Cela n’a guère changé la sentence : « Monsieur ne met aucunement en œuvre les mesures communiquées pour se réguler depuis 2022. Il peut sortir du centre de rétention par le moyen d’une assignation à résidence s’il remet aux juges d’instruction son passeport ». Une autre personne auditionnée essaye de plaider sa défense mais en vain. « J’ai des enfants ici. Par conséquent, je souhaite rester mais vous ne vous en occupez pas ». Ce n’est pas mon problème, lui répondit-t-elle, la loi, c’est la loi. L’émotionnel n’a définitivement pas sa place dans le verdict des jugements au tribunal judiciaire de Paris. « Depuis les attentats du Bataclan en 2015 et plus récemment depuis le meurtre de Lola en 2022, il y a beaucoup de tensions dans les tribunaux et cela ne s’arrange pas », affirme Maître François*. Malgré ces désagréments, le juriste ajoute avec importance sa familiarité avec ses collègues : « Entre avocats, on se connait tous au bout de quinze ans de métier, même si on ne s’aime pas toujours ». Il finit par conclure : « Il n’empêche que c’est la matière la plus politique qui soit », non sans faire allusion aux propos de Madame le Président. Comme quoi l’amour n’est pas toujours réciproque entre collègues.
Jessy Lemesle
*Les prénoms ont été modifiés