Les comparutions immédiates ne cessent pas pendant les vacances judiciaires du tribunal de Paris. Ce mardi 9 Avril une affaire impliquant deux jeunes hommes pour cambriolage y est longuement traitée. Retour sur cette procédure pénale, d’une Justice qui ne se repose jamais vraiment.
Les couloirs du Tribunal de Paris semblent bien vide ce mardi en pleine période de vacances judiciaires. Les robes noires des avocats s’entremêlent avec les uniformes des policiers armés et des costumes cravates de la sécurité. Ils ressortent bien sur les murs blancs et ocre du bâtiment. On y retrouve d’ailleurs inscrits en divers endroits les différents articles de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La façade complètement vitrée fait entrer une lumière rassurante en se reflétant sur le sol des 6 étages ouverts au public. À priori, la Justice se porte bien dans ce bâtiment flambant neuf inauguré en 2020.
Pourtant il semblerait qu’elle tourne totalement au ralenti en cette période de vacances judiciaires. Comme tous les ans à la même période, les magistrats prennent leurs congés de Pâques, et très peu d’affaires sont alors traitées. Quelques décisions d’urgence concernant des hospitalisations d’offices ou des dossiers sur des mineurs en danger, des décisions en appel, et surtout des comparutions immédiates. Cette dernière procédure pénale permet de juger rapidement les prévenus après leur garde à vue. Même si très souvent l’affaire est finalement renvoyée pour permettre aux accusés de parfaire leurs défenses, ce type de procès ne prend jamais de pause. Une jeune avocate à la chevelure blonde nous l’explique très bien en rigolant, “les gardes à vue ne s’arrêtent pas pendant les vacances”. En 2023 en France, c’est 58 893 procès en comparution immédiate qui ont été effectués selon un rapport du Ministère de la Justice.
Dans la salle 6.01, se tient la 23e chambre correctionnelle du tribunal, celle qui s’occupe de ces comparutions immédiates. Petit à petit, le monde s’affaire autour de la salle dans ce gigantesque tribunal qui était pourtant vide le reste de la journée. Étudiants en journalisme, en sociologie, lycéens, juristes, ou proches des victimes prennent petit à petit place sur les bancs blancs de la salle entièrement faites de bois lisse. Aujourd’hui l’on juge 3 affaires, bien différentes les unes des autres. Deux jeunes hommes de 19 ans accusés de cambriolage et rébellion contre les forces de l’ordre. Un Algérien en garde à vue pour menace de mort à l’encontre de différents politiques, dont les noms de Darmanin et Bardella affichés dans la case des victimes ne manquent pas d’étonner les visiteurs. Puis un Chinois, assisté d’une traductrice car il ne parle pas la langue, qui comparaît pour une affaire d’agression sexuelle.
Assise silencieusement dans la salle, l’audience attend que le procès puisse débuter à 13h. Les différents magistrats s’échangent des dossiers aussi épais que des encyclopédies avec une légèreté qui contraste totalement. L’ambiance est calme et détendue, on entend quelques rires provenant des professionnels de la justice. L’huissier s’étonne même du peu de monde présent en discutant avec les policiers surveillants, “le cinéma nous a volé notre public”, dit-il. Soudain une femme d’une cinquantaine d’années sort d’une porte du fond. Son ton de voix plus élevé et son charisme nous font comprendre très vite qu’il s’agit de la Présidente du Tribunal, elle dépose ses dossiers sur la table avant de retourner à l’arrière. Pendant ce temps, avocats et greffiers se présentent habillés comme n’importe quel membre de l’audience, puis de leur sac, ils sortent leurs toges noires à la cravate de batiste blanche tombante. La scène prend vie sous nos yeux, et le théâtre judiciaire va bientôt commencer, avec un retard d’une vingtaine de minutes qui lui est habituel selon les dires des policiers présents.
L’avocate à la chevelure blonde est aujourd’hui à la défense d’un des deux jeunes hommes accusés de vol. On remarque d’ailleurs une cour composée de très jeunes gens. À l’exception de quelques membres du jury et de la Présidente, tous ont la trentaine, comme s’ ils venaient tout juste de passer le barreau. Lorsque les quatres prévenus s’avancent dans le box pour leur identification, l’ambiance se cristallise. Une des deux jeunes hommes arrive d’un pas assuré, qui trahit tout de même une forme de surjeu peut-être pour pallier à la pression qu’il ressent sûrement.
Kyllian K. a 19 ans, dans une famille de 7 frères et soeurs, il est pourtant le seul à avoir des problèmes avec la justice, il enchaîne les rencontres avec les UEMO (Unité Éducative en Milieu Ouvert, chargée d’appliquer les sanctions décidées par les magistrats lors de procès pour les mineurs) depuis très jeune. Yannick B. a lui aussi 19 ans, “20 la semaine prochaine” , précise-t-il. Un père absent, des problèmes avec les stupéfiants après sa première incarcération de 2 mois à Villepinte. Il dit avoir pu les traiter par un dispositif de servage pendant sa rétention le mois précédant ce procès, “quelques cigarettes mais plus de cannabis”. Son grand frère est footballeur semi-pro et son petit frère et sa petite sœur sont toujours en études. Lui aussi est le seul de sa famille à se rendre régulièrement au tribunal et à enchaîner les UEMO.
Ils sont accusés avec un dernier mineur (absent car déjà jugé par le Tribunal des Enfants), d’avoir cambriolé un appartement du 15eme en février dernier. Les objets du larcin, une collection de pièces anciennes, des bijoux, et un ordinateur, pour une valeur totale estimée à 15000€. La gardienne d’immeuble ayant alerté la police avant même le début de l’effraction, ils se sont fait prendre en flagrant délit par des officiers de la BAC. Ils auraient alors tenté de prendre la fuite, violemment, puisque 3 officiers ont porté plainte pour violences physiques. L’un d’eux aurait pris dans la figure les portes que Kyllian K. lui fermait dessus pour tenter de s’échapper, il l’aurait ensuite frappé avec un luminaire avant que le fugitif ne se fasse renverser par une voiture. Pour Yannick B. et son camarade mineur, pas de chance, en cherchant à fuir par la fenêtre ils se seraient retrouvés dans une voie sans issue et contraints de se rendre.
Le procès d’aujourd’hui est long, il s’agit d’une affaire en renvoi, “c’est assez exceptionnel qu’on y passe autant de temps” confie la jeune avocate blonde. Après avoir récapitulé les 9 sous-dossiers du crime des jeunes hommes, car ils sont aujourd’hui en état de récidive, la Présidente demande alors aux prévenus de s’expliquer. Devant l’audience, les bandits ne se révèlent qu’être des adolescents, timides ou impressionnés par la cour et l’audience. Si Kyllian K. est peu loquace, Yannick B. l’est beaucoup plus, il semble réellement montrer sa bonne foi, “Si vous me laissez une dernière chance, je vous donnerais tout le concret dont vous aurez besoin” dit-il à la Présidente qui lui demande ce qu’il compte faire pour améliorer son cas. Ils ne sont pas nécessairement à l’aise avec l’expression en public, ne parlent pas très bien dans leur micro si bien qu’on peine à les entendre. Il s’agit bien là de “gamins” comme le répète l’avocate de Kyllian K. durant sa plaidoirie. Les deux jeunes adultes reconnaissent presque tous les faits, lorsque la Présidente leur dit d’un ton presque maternel, “on est sur une voix déconnante […] Il y a d’autres moyens de s’en sortir”. Ce à quoi ils répondent, “je réfléchissais pas”, “c’était bête, je pensais être plus intelligent que les policiers”.
Ils pourraient encourir jusqu’à 20 ans de prison avec la récidive, mais la Procureure de la République demandera pour Kyllian 18 mois ferme dont 6 mois assortis d’un sursis probatoire de 3 ans et une peine de 2 ans dont 1 ferme pour Yannick assorti du même sursis probatoire. Après 3h30 d’un long procès l’audience est levée pour deux heures afin de permettre la délibération. À 20h la sanction est donnée, ce sera finalement 18 mois dont 8 ferme aménagés assortis de 2 ans de sursis pour Kyllian et 24 mois dont 12 fermes aménagés également et le même sursis pour Yannick. Les deux jeunes hommes seront ainsi assortis d’un bracelet électronique a la cheville, les consignant à ne pas quitter une certaine zone.
Dans cette 23eme Chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, deux destins viennent d’être changés à tout jamais. Ces deux adolescents débuteront leur vie d’adultes sous surveillance judiciaire. Tous les magistrats s’accordent pourtant à dire que ce ne sont que des enfants qui ont commis des vols stupides. L’avocate de Kyllian K. évoquait “des gamins qu’on vient chercher dans la cité à qui on fait miroiter l’argent facile, en leur faisant croire qu’ils ne prendront pas de ferme”. Cependant il semble aussi temps pour eux de comprendre qu’ils ne seront pas toujours indemnes et que “la société se protège aussi” comme l’énonce la Présidente. La Justice ne prend ainsi pas de vacances et cette journée de comparution immédiate ne prendra pas non plus fin tout de suite. Il reste encore deux affaires à traiter et elle s’achèvera donc probablement aux alentours de minuit. Nombreuses sont les occurrences de comparution immédiate se terminant très tard pouvant aller jusqu’à 6h30 du matin comme cela avait été le cas au Tribunal de Paris en Août 2023.
Jules CORNELOUP