Portrait. Professeure d’anglais dans un lycée de la région parisienne, Stéphanie Allemand revient sur la crise des vocations qui sévit de plus en plus dans le milieu de l’enseignement. La pénurie de jeunes enseignants pénalise les élèves, les premiers concernés.
Mardi 19 mars 2024, plusieurs syndicats ont appelé à un mouvement de grève dans la fonction publique. Les revendications de ces fonctionnaires sont liées à l’absence concrète de l’augmentation des salaires, sur fonds d’inflation et d’une baisse du pouvoir d’achats. Les enseignants font partie des professions les plus touchées par le phénomène. « Aujourd’hui, les fonctionnaires français sont parmi les moins bien payés – les enseignants, les infirmières, les médecins… – et cela créé un déficit de vocations qui pose un problème pour que nos services publics puissent fonctionner », déclare Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, le 18 mars sur BFMTV.
La parole se libère progressivement et donne lieu à de nombreuses protestations et invectives de la part des enseignants. C’est dans une atmosphère tendue que Stéphanie Allemand, 40 ans, professeur d’anglais au sein du lycée Gaspard Monge situé à Savigny-sur-Orge (91), a bien voulu nous expliquer la crise des vocations de l’enseignement qui traverse le pays.
Tomber de haut
Commun pour de nombreuses autres personnes, Stéphanie fut au premier abord enchantée par le métier par l’entremise de son entourage et s’identifiaient à l’une de ses professeures d’écoles. « C’était un rêve d’enfant. Je songeais à une image idéalisée de la profession : flexibilité, confort de vie, stabilité de l’emploi, salaire décent … »
Son diplôme validé, la réalité fut tout autre lorsqu’elle fut mutée dans la région parisienne. « Mon emploi du temps était catastrophique. J’avais des trous toute la semaine alors qu’il me manquait deux heures pour avoir un temps plein…J’étais pourtant titulaire ». Elle a ainsi bénéficié d’une carte scolaire car elle n’avait pas assez d’heures pour financer son poste. « On m’a alors affectée au sein de l’établissement le plus proche pour le conserver. Quand tu rentres dans le métier, tu te prends tout ça en pleine face ».
« Un professeur d’anglais comme moi peut désormais remplacer un professeur de technologie, cela est complètement irrationnel »
Stéphanie Allemand, professeure d’anglais au sein du lycée Gaspard Monge situé à Savigny-sur-Orge dans l’Essonne (91)
Le manque de pénurie d’enseignants contractuels pousse certains établissements à poster des annonces sur des plateformes : « La crise est tellement grande que certains recruteurs postent des annonces sur Leboncoin », explique Stéphanie. Avec la démocratisation d’Internet, les speed meetings (entretiens rapides) prolifèrent de plus en plus. En 2016, Paul Sanfourche, journaliste à l’émission « Envoyé spécial » a mis en exergue les besoins critiques d’enseignants dans certaines matières. Une semaine après son entretien d’embauche et sans aucune compétence préalable en mathématiques, il enseignait déjà en tant que contractuel devant une classe du secondaire. Cela pose un autre obstacle car ces derniers sont généralement des personnes ayant raté l’agrégation ou ne disposant que d’une licence, remettant ainsi en doute leurs compétences et leur capacité à enseigner.
« Une vocation qui n’en vaut plus la chandelle »
Dans l’ouvrage L’ex plus beau métier du monde (2023), William Lafleur brosse un portrait sur l’état de l’éducation nationale. Il démontre l’impact des dysfonctionnements de l’institution sur les enseignants. La mise en place du pacte enseignant proposé par l’ancien ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, censé limiter le taux d’absentéisme professoral n’a pas convaincu. « Au lieu de souder nos équipes, cela a créé de fortes dissensions internes entre collègues car certains s’y refusent », affirme Stéphanie. « Un professeur d’anglais comme moi peut désormais remplacer un professeur de technologie, cela est complètement irrationnel », ajoute-t-elle.
Le salaire des enseignants est de surcroît peu attractif. Selon l’économiste Lucas Chancel, le salaire des professeurs débutants a été divisé par deux en quarante ans passant de 2,2 SMIC en 1980 à 1,1 SMIC en 2022. « Alors que l’inflation augmente, le pouvoir d’achat diminue et ne permet plus d’attirer assez d’enseignants au concours », renchérit Stéphanie. Selon le journal La Croix, un nombre historique de postes non pourvus aux concours enseignants a été révélé pour la rentrée 2022. Estimé à près de 4000, la courbe de la crise des vocations n’est pas près d’inverser la tendance et pourrait peser davantage lors de la rentrée 2024 si aucune mesure drastique n’est envisagée. Malgré la crise, Stéphanie porte toujours sa vocation de toujours dans son cœur car elle « forme les citoyens de demain ». Une tâche qui n’est pas aisée mais indispensable pour développer les facultés intellectuelles, morales et physiques de tous citoyens.
Jessy Lemesle