Cerisiers en fleurs, pique-nique, cosplays, activités pour enfants à caractère japonais au parc de Sceaux, marché de produits artisanaux japonais place Brühl, tout y est pour satisfaire les touristes venus des quatre coins de la France et même du monde. Immersion.
Le Japon à Paris ? Oui, c’est une éventualité envisageable. Chaque année, entre le 30 mars et le 28 avril, le spectacle des cerisiers en fleur est un événement très attendu dans le parc départemental de Sceaux situé dans les Hauts-de-Seine (92). Depuis des siècles, ce moment empreint de poésie et de couleurs, célébré au Japon sous le nom d’Hanami, signifiant littéralement « regarder les fleurs », rassemble une multitude de personnes tout autour du globe pour admirer les arbres en fleur le temps d’un instant. La France ne fait bien entendu pas exception à ce phénomène naturel. Le 20 avril est un jour particulier pour le festival car une multitude d’échoppes éphémères à caractères japonais investissent la place principale de la ville de Sceaux. Immersion au parc de Sceaux et place Brühl.
Les Champs Elysées à la « campagne »
Samedi 20 avril, 14h30. Siégeant sur la place principale, le son de la cloche de l’Eglise de Sceaux résonne jusqu’au tréfond du parc. Le soleil frappe de son étreinte dans la plaine de Châtenay. Les arbres sont décidément bien taillés mais ne laissent perceptible aucune trace de leurs élagueurs à l’horizon. L’opération est bien ficelée. L’on croirait ainsi musarder à travers les Champs Elysées mais…avec les infrastructures de béton en moins. L’herbe fraîche de couleur verte pétante détonne sur le parc et l’illumine de mille feux – verts pourrait-on dire. Aucune trace d’une quelconque déshydratation de la végétation. Elle n’est pourtant pas synthétique. Trois ou quatre mariées – je ne sais plus, elles arborent toutes une robe élégante -, se promènent avec leurs maris, accompagnés de leur photographe attitré. Il faut dire que le lieu en vaut la chandelle pour de tels événements. N’est-ce pas un petit Versailles ? Nombreuses sont les familles à pique-niquer au pied des arbres fleuris. Certains groupes se réunissent même en cercle comme une occasion de remercier ce spectacle se déroulant sous leurs yeux.
Une floraison qui ne s’est pas passée comme prévu
La floraison des sakura est une merveille naturelle et la population a la chance de pouvoir en profiter tous les ans à l’ombre des bosquets de cerisiers de la plaine de Châtenay. Très attendue, elle est pourtant tout à fait éphémère : elle ne dure en moyenne qu’une dizaine de jours. La durée de floraison varie évidemment selon les années et selon les lieux en fonction de l’environnement (température, ensoleillement, humidité, vent, et pluie) qui peut précipiter la phase de la chute des fleurs. Cette année, la plaine n’a pas été épargnée et cette attraction phare du festival a clos plus rapidement que prévu. « Les cerisiers ont éclos il y a deux semaines » déclare des agents de surveillance du parc. « Mais à cause des intempéries, des bourrasques et des conditions météorologiques, les fleurs de cerisiers ont été balayé en un rien de temps », ajoute une passante, consternée, et habituée des lieux. Si bien qu’aujourd’hui, il ne reste plus que quelques pétales çà et là encore accrochés fermement à leurs branches. Ces délicates œuvres d’arts font de la résistance. La plupart d’entre elles sont étendues sur l’herbe fraîche. Elles sont désormais fanées. Les ornements roses des cerisiers sont parties aussi vite qu’elles sont arrivées. La nature ne cesse d’impressionner.
Activités et expositions proposées aux visiteurs
Au milieu de ce « grand jardin », est installé un dôme blanc d’une forme arrondie. Un groupe de dames japonaises d’un certain âge réalise un numéro de karaoké, dans l’indifférence générale. Elles chantent près d’un micro au son grésillant. Qu’importe, elles s’amusent ensemble, l’air jovial. A l’intérieur du dôme, l’on découvre des activités pour enfants. Et pas n’importe lesquelles. Des jeux japonais ou disons leurs équivalents japonais. En effet, plusieurs enfants courent et jouent à tue-tête aux alentours. « Shifumi », « Daruma-san ga Koronda », « Dorokei », cela nous vous évoque-t-il pas quelque chose ? Il s’agit respectivement des traditionnels « Pierre feuille ciseaux », « Un, deux, trois, Soleil » et « Le Chat et la Souris ». Leurs datations sont incertaines. « Ces jeux sont très anciens et remonteraient à une période vieille de plus de 2 000 voire de l’Egypte antique » souligne les équipes de l’atelier de Nanterre, concepteurs de ces activités. Les enfants, ont de surcroît, eu l’occasion de s’amuser à enfiler des costumes qui les transforment en lutteur de sumo.
Selon Franck Sadrin, auteur de Cerisiers du Japon et autres Prunus d’ornement [Editions Ulmer, 2014], le cerisier à fleur est non seulement un symbole du printemps, marquant le renouveau de la nature, le bourgeonnement et la floraisons des plantes mais aussi celui de la beauté éphémère.
« La fleur de cerisier trouverait en effet son origine symbolique dans l’univers guerrier des Bushi de l’ère Heian (794 à 1185 ap. J.-C.) », indique une porte Torii réalisée par la Direction des Parcs, Paysages et de l’Environnement et la Direction de la Culture. Les bushi sont apparus en 1185 quand ils gouvernèrent le pays. Ils étaient des hommes de guerre en armure dont la destinée était de combattre pour accroître la puissance de leur clan. « Pour ces guerriers, la brièveté de leur existence s’apparente à la floraison éphémère de la fleur de cerisier, qu’ils adoptent comme emblème » rajoute l’exposition déployée sur de multiples portes Torri aux quatre coins du parc. Malgré le froid qui en ferait frémir plus d’un, quelques personnes portant des cosplays aux attraits traditionnellement japonais (geishas) ou culturelles (références à des personnages de mangas), se pavanent au sein du festival et immortalisent un souvenir en face des portes Torii. Ces portes sont généralement érigées à l’entrée d’un sanctuaire shintoïste, la religion majoritaire au Japon, afin de séparer l’enceinte sacrée de l’environnement profane.
Non loin de là se déroule l’exposition Floraison présentée au château de Sceaux, dessiné par André le Nôtre, et anciennement la propriété de la duchesse de Maine, bru de Louis XIV. Comme pour la fête d’Hanami, elle est un hommage au renouveau de la nature. Deux œuvres du début du XXe siècle en sont le point de départ : le buste d’une jeune Japonaise, dû au sculpteur Ichiga Numata, et une image des collections du musée Albert Kahn. Cette dernière a suscité l’idée de réaliser, dans le cadre d’un projet d’éducation artistique et culturelle, le costume d’une allégorie du printemps, dans l’esprit du cosplay cher à la culture nippone contemporaine. Émerveillement garanti.
Un brin de tradition japonais à Paris
Quelque chose d’autre attire l’œil. Elles sont érigées au bord des chemins. On les appelle des ema. Généralement accrochées dans les temples et les sanctuaires du Japon, ces petites plaques de bois dédicacées sont suspendues entre la terre et le ciel afin d’apaiser les âmes tourmentées. Ces plaques contiennent en outre des prières ou des vœux que l’on souhaite voir se réaliser. Les caractères semblent peu lisibles. Sans doute dans l’objectif de garder cela pour soi. L’intimité prévaut, assurément.
Outre cette exposition disséminée çà et là dans le parc, plusieurs tambours japonais, des taiko, grondent au loin. Il est 16 h 00. Le spectacle a commencé place de Bruhl à quelques centaines de mètres de l’entrée du domaine de Sceaux. Munis d’un hachimaki, un bandeau blanc japonais, fixé sur leurs fronts, et d’un bachi dans chaque main, une sorte de baguette en bois, les joueurs frappent en rythme à intervalles réguliers. Cette pratique fait appel à un travail corporel exigeant. Le spectacle est assuré. Les visiteurs sont sous le charme.
Marché de produits artisanaux japonais comme une occasion de découvrir cette culture
Autour de la place Bruhl, un marché de produits artisanaux japonais constitué de vingt exposants a pris possession du secteur piétonnier dans le centre-ville. S’y sont réunis associations, artistes (céramistes), peintres, créateurs de kimono, bijoutiers, illustrateurs, décorateurs (origami, poupées kokeshi), ou encore gastronomes (gyudon, chocolats, bubble waffle, saké, pâtisseries). La liste est longue. L’objectif ? Entrer en immersion dans la culture japonaise. Pari gagné. Il y a en a de toutes les couleurs et pour tous les goûts. Plusieurs dizaines de drapeaux de l’Archipel Nippon flotte au gré du vent. Le traditionnel point rouge incrusté dans un carré blanc est reconnaissable entre mille.
Maropo, artiste peintre Nihonga, une peinture traditionnelle japonaise, fait partie des heureux élus qui proposent leurs arts au public. Elle déclare avec enthousiasme : « Il y a de plus en plus de français qui aiment la culture du Japon et ses nombreuses traditions. Regardez, autour de vous, nombreux sont des Français à tenir des stands dont les produits sont typiquement japonais. C’est assez atypique, vous ne trouvez pas ? » exprime-t-elle d’un air enjoué. En effet, une personne sur deux tenant leurs exposants place Bruhl est française, l’autre partie généralement japonaise. Elle ajoute un détail non moins déroutant. « Mais le japonisme ne date pas d’hier comme on pourrait le penser. Bien au contraire. Ma grand-mère qui est née en 1900 en était une grande fan et possédait de multiples objets en rapport avec le Pays du Soleil levant. Elle n’est pourtant jamais allée au Japon au cours de sa vie ! » Ce qui n’est pas le cas de Maropo, une admiratrice incontestée du pays, allant même jusqu’à adopter un pseudonyme à consonance japonaise. « Moi, j’y suis allé huit fois au cours de ma vie pour apprendre cet art qu’est le Nihonga auprès d’un maître ». La jeune femme travaille avec Misaki Omaoka une artiste céramique japonaise qui s’est installée à Paris. Elle y expose ses céramique durant le festival au stand d’à côté, habillée du traditionnel kimono japonais : « C’est la deuxième fois que je viens ici et je suis très fière de proposer mes œuvres aux clients ». Il faut dire que plutôt dans la journée, une mère et son fils lui en ont acheté une dizaine. « Les gens en redemandent ! », dit-elle avec un sourire radieux. Avant de renchérir : « Ce festival est de plus en plus connu. Il prend de l’ampleur chaque année et attire de plus en plus de monde de tous les horizons. Même les étrangers s’y pressent ».
L’heure du gong final du festival va bientôt se clore. Il est 18h30 et le temps se gâte. Le vent souffle une brise légère sur les visiteurs et pousse certaines personnes vers la sortie. Mais pas toutes. Car non loin du château de Sceaux se déroulent trois mini-concerts de minyô dans l’Orangerie. L’ensemble Zeppin joue le minyô, musique populaire ancienne peu connue en Occident. Enjouée et dansante, elle raconte des scènes de la vie quotidienne de chaque région du Japon. Malheureusement, le concert affiche complet. L’effervescence est à son paroxysme. Partie remise pour l’année prochaine.
Jessy Lemesle