Quarante-six ans sans aucune victoire de la France à l’Eurovision démontrent peu ou prou une certaine corrélation entre l’amenuisement de son aura géopolitique, et d’un recul de l’influence de la langue française en Europe. Toutefois, l’hexagone n’a pas dit son dernier mot et compte bien remonter sur la première marche.
Après une sélection interne déterminée par la délégation française à l’Eurovision, Slimane, déjà connu du grand public, a été annoncé comme le prochain interprète qui représentera la France au concours de l’Eurovision 2024, prévu en Suède. Après la dernière victoire française par l’entremise de Marie Myriam en 1977, beaucoup se demandent pourquoi l’Hexagone, pourtant l’un des plus gros contributeurs financiers du concours, peine à remporter une édition. Analyse avec Fabien Randanne, journaliste culturel chez 20 Minutes et expert de l’Eurovision.
Pourquoi la France n’a-t-elle pas gagné l’Eurovision depuis 46 ans, malgré pourtant une très belle deuxième place conquise en 2021 ?
« On ne gagne pas à tous les coups. Il y a plusieurs éléments qui rentrent en ligne de considération. C’est à la fois la qualité des chansons interprétées, le contexte temporel et sociétal sans compter le recours au vote qui sont les facteurs substantiels permettant à une nation d’accéder la coupe. Les premières années de l’Eurovision, seule une dizaine de pays participaient à contrario d’aujourd’hui où quarante sont à l’affiche. L’aspect des langues est un autre facteur clé qui rentre en compte, étant donné que les années où la France a remporté le concours [1958, 1960, 1962, 1969, et 1977], c’étaient aussi ces mêmes années où les participants avaient pour obligation de chanter dans leur langue nationale. Certaines langues disposent de sonorités moins musicales et ont, de facto, moins de chances de s’imposer là où d’autres langues comme le français, l’italien ou l’anglais ont davantage de chance. Généralement, le poids du jury, bien qu’important, est contrebalancé par celui exercé par le public qui souhaite avoir son mot à dire.
D’une manière logique, nous avons plus de chance de ne pas gagner l’Eurovision dû au nombre conséquent de participant. J’insiste sur la formule ‘‘ne pas gagner l’eurovision plutôt que de perdre’’ car le classement des pays participants porte sur l’évaluation d’un art subjectif. »
Au sein de la sphère médiatique et sociétale, une rumeur explicitant que la France ferait « exprès de perdre » est partagée et approuvée. Selon vous, est-ce que cela est une excuse avancée pour ne pas perdre la face étant donné que la France reste une puissance majeure en Europe ?
« Ce stéréotype d’une soi-disant défaite envisagée m’exaspère un peu. Haranguer les utilisateurs des médias sociaux que la défaite est voulue, non. Affirmer que l’Hexagone n’a pas souhaité s’engager durant certaines années en raison d’un passage à vide, au début des années 2000, avec peu de gagnant marquant, oui. Si la France ne voulait pas obtenir le prix, la première chose à faire serait de ne pas y participer, et de ne pas être un des cinq plus gros financeurs de l’Eurovision. C’est ce qu’il lui vaut d’ailleurs d’être qualifiée automatiquement pour la finale. Elle ne perdrait pas de l’argent négligemment. Depuis 2016, l’envie est de redorer le blason de la France à l’Eurovision. Il y a quand même une volonté ».
Outre le manque béant de victoires depuis quatre décennies, comment expliquer ce foisonnement de réussite [5 victoires] conquis par la France en seulement 19 ans, entre 58 et 77, contrairement, par exemple, au Royaume-Uni ou à l’Allemagne, qui sont pourtant d’autres grands pays européens. Pourquoi la France avait autant de succès à cette époque ?
« A cette époque, la langue française avait plus d’influence et d’importance, et ce jusqu’au début des années 70. La francophonie était très représentée au sein des nations sélectionnées francophones. Peut-être que les jurys francophones étaient accommodants avec le Pays de la Baguette par le truchement de leur choix de vote. De plus, la France incarnait un rayonnement géopolitique plus étendue qu’en notre temps. Il en reste qu’aujourd’hui le Pays des Lumières est une nation comme les autres à l’Eurovision. Le monde n’attend pas davantage ce que la France va chanter que la Slovénie ou l’Albanie ».
Propos rapportés par Jessy Lemesle