Enseignants, élèves et parents manifestent en Seine-Saint-Denis depuis le 26 février. Ils dénoncent la réforme du choc des savoirs et réclament une augmentation des moyens. Pascal Stoller, professeur dans le supérieur et le secondaire en Seine-Saint-Denis depuis 36 ans, a milité toute sa vie pour l’accès à un enseignement d’excellence dans le département.
En guise de salutation, Pascal Stoller lance “Tu as intérêt à être un très bon journaliste, parce que je ne vais pas laisser échapper des éléments de ma vie privée facilement !”. Allure de motard, coupe militaire, blouson et boots en cuir, Pascal me fusille de ce regard faussement sévère qu’il réserve à ses étudiants. “Tu ne vas quand même pas te laisser impressionner par ce gros con de Stoller ?” ajoute-t-il, l’œil rieur. Intimidant, certainement, mais toujours présent pour ses élèves. “Il m’a fallu recevoir un autre étudiant pour une situation urgente et délicate.”, voici la raison des 50 minutes de retard de cet entretien. Salle 328, 3e étage, bâtiment A, université Paris 8, il accepte de m’y recevoir après une journée de cours : “Donc tu me demandes de faire la chose que je déteste le plus au monde, parler de moi ?” avant d’ajouter “Tu as de la chance que je t’aime bien.”
<<Un gamin de banlieue qui a envie et besoin de travailler en banlieue>>
Son parcours dans l’enseignement est autant l’histoire d’une lutte pour ses élèves, qu’une désillusion vis-à-vis de l’exécutif. “L’enseignement c’est du militantisme”, assure-t-il. Il s’agit d’une passion dévorante qui le pousse à toujours faire plus que ce qui lui est demandé. Pascal passe le concours de professeur des lycées professionnels en 1988 à l’université Paris 8. “Je suis un gamin de banlieue qui a envie et besoin de travailler en banlieue” assure-t-il. Sa seule crainte ? Ne pas être muté dans le 93. “J’ai fait le choix de travailler dans l’Éducation nationale avec un projet militant ! faire en sorte qu’un citoyen dans ces quartiers populaires ait le droit à une éducation aussi digne que n’importe quel autre citoyen !”. Ces paroles résonnent aujourd’hui avec les cris des enseignants de la Seine-Saint-Denis, manifestant pour de meilleures conditions d’éducation depuis le 26 février. Pour Pascal, qui enseigne dans le département depuis 36 ans, ces contestations extrêmement puissantes et inédites n’ont rien d’étonnant. Elles sont seulement symptomatiques des freins qui pèsent encore sur l’éducation. “Le système qui est en place est profondément incompatible avec le 93. C’est ce qui fait que la crise de l’école publique continue et continuera.” Ses yeux d’un bleu pâle, à la limite du gris, tombent dans le vide. À ce moment, ses pensées sont comme embrumées par ses souvenirs.
<<Je ne voulais pas qu’il devienne le lycée de la banlieue>>
Les premières années suivant l’obtention de son diplôme, il donne des cours du soir à des adultes ayant déjà une vie professionnelle en plus d’enseigner dans des lycées. En 1994, une proposition va changer sa vie : participer à la création brique par brique du lycée Suger. “Bingo ! je n’ai pas réfléchi plus d’un milliardième de seconde et j’ai tout de suite accepté”, raconte Pascal, sourire aux lèvres. “Il ne s’agissait pas seulement d’arriver, de donner des cours et de repartir mais aussi de prendre part aux plans architecturaux, faire les enduits et la peinture.” Mais Pascal qui a grandit dans ces quartiers connaissait le danger de l’implantation du lycée entre la cité des Francs-Moisins et la cité des 4000 logements : qu’elle tombe dans les stéréotypes du lycée ghetto. “Je ne voulais pas qu’il devienne le lycée de la banlieue, mais un lycée de la République, comme n’importe quel lycée.” En 1987 se présente une opportunité que Pascal perçoit : l’implantation d’AB Productions à Saint-Denis. “Il y avait une carte à jouer : donner une identité au lycée en faisant un pôle de formation audiovisuel qui s’appuierait sur cette industrie venant de s’implanter.”
<<Caporalisation de l’Éducation nationale>>
Les années suivant la création du lycée, tout va pour le mieux. Une licence de cinéma, un BTS audiovisuel et un baccalauréat professionnel photographie voient le jour. “C’était vraiment une belle aventure”, déclare-t-il avec un sourire sans joie. Une aventure qui aura duré 17 ans et dont le souvenir semble, au moment où il en parle, avoir marqué son visage : les creux de ses sillons nasogéniens sont prononcés, et ses rides du fumeur ont, elles aussi, creusé leur chemin. Ses fréquentes bouffées sur sa cigarette électronique sont le signe de sa récente volonté d’arrêter de fumer.
Au fil des années, de changements de direction et de réformes de l’Éducation nationale, il observe une “caporalisation de l’Éducation nationale”. “Ils pensaient qu’ils allaient donner des ordres et qu’on allait s’exécuter gentiment, mais ça ne marche pas comme ça !” Des années de conflits ouverts avec la direction vont mener en 2017 à sa mutation forcée. Levée de boucliers des enseignants, des parents, des élèves et même de certains politiques de la ville de Saint-Denis. La décision est jugée comme injuste par tous. Seulement, la pression de l’administration est trop forte et Pascal finit par rédiger sa lettre de démission la mort dans l’âme. Pour autant, il n’a rien perdu de sa verve et continue le combat depuis Paris 8, l’université née de mai 68′ pour continuer le combat de l’éducation pour tous.